Le Lac des Morts-Vivants

Publié le par Antohn

« Ouéééééééé! Promizoulin[?]! Finissons-en! »

 

LE LAC DES MORTS VIVANTS

 

J'ai pour habitude de penser que, lors d'une guerre, il n'y a pas de « bons » et de « méchants », que, l'Histoire ayant été écrite par les vainqueurs, ceux-ci se sont toujours arrangés pour que les Hommes retiennent le fait qu'ils étaient du côté du bien, qu'ils n'avaient pas voulu la guerre, que le chef de l'ennemi était le Diable ou encore que seul l'ennemi commettait des atrocités; dans les faits, la réalité était bien plus subtile.

Certains cas échappent pourtant à cette règle et je suppose que je ne surprendrais personne si je dis que la Seconde Guerre Mondiale fait partie de ceux-là. S'il est vrai que les Soviétiques n'étaient pas non plus des enfants de chœur, les Nazis ont durablement marqué les esprits en Europe de l'Ouest ainsi qu'en Amérique, restant pour beaucoup l'incarnation du Mal (si vous avez déjà discuté avec un troll, vous vous êtes déjà rendu compte que dès que celui-ci veux vous diaboliser, il vous traite de nazi, ce qui en dit long sur les qualités morales accordée à ces dernier1).

Il est donc assez facile pour un scénariste, d'utiliser le personnage du nazi comme méchant dans un script: inutile d'expliquer pourquoi il est méchant, vu que c'est un nazi il ne peut en être autrement. Il en est de même avec le zombie: rien de surprenant à ce qu'un héros s'attaque à un zombie vu que le zombie est, par essence, bête, méchant, cannibale... et salissant.

Autant vous dire que quand un film met en scène des zombies nazis, il ne faut pas être grand clerc pour savoir qui est le méchant.

 

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« Le lac des morts-vivants » n'est pas connu pour sa qualité mais plutôt pour les circonstances dans lesquelles il fut tourné. A la fin des années 70, un ancien forain, Marius Lesoeur, rachète Eurociné, qui était l'une des plus anciennes, si ce n'est la plus ancienne société de production encore en activité (elle fut fondée en 1937). Ayant consacré sa vie au divertissement, Lesoeur s'est alors spécialisé dans la production de films à très petit budget ayant très souvent pour thème la Seconde Guerre Mondiale, période qu'il avait vécu et qui l'avait profondément marqué.

Le plus souvent, Marius Lesoeur privilégiait l'économie à l'artistique. Il avait notamment l'habitude d'utiliser des stock-shots de ses anciens films pour les insérer dans des nouveaux (quitte à ce que cela n'ait aucune cohérence ou que l'acteur filmé vieillisse ou rajeunisse de dix ans entre deux scènes). Il lui arrivait même de faire des films sur un coup de tête: en vacances en Espagne, il utilisera même le jardin de son hôtel pour tourner un film d'aventure, trouvant que ce jardin ressemblait à une jungle.

 

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"Tiens ca ressemble pas à un lac maudit çà? Je crois que je tiens une idée, coco!"

Marius Lesoeur avait l'avantage de pouvoir compter sur deux véritables aventuriers de la série Z, Jesus Franco et Jean Rollin, connus pour posséder une qualité rare chez les réalisateurs, celle de savoir faire de bons films avec trois bouts de ficelle.

En juillet 1980, Eurociné s'apprête à produire un nouveau film, « Le lac des morts-vivants », un film d'horreur où des nazis, tués puis jetés dans un lac par des résistants, se réveillent dix ans plus tard pour attaquer la population d'un village. Il est prévu alors que la réalisation soit confiée à Jesus Franco. Je dis bien « prévu », car ce dernier claque la porte peu avant le tournage; lui qui est habitué aux budgets serrés proteste contre le manque de moyens ce qui en dit long sur les sommes engagées par Eurociné dans la production de ce film.

 

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De paisibles villageois surmotivés.

 

Jesus Franco parti, c'est à un autre Mac Gyver du ciné que Marius Lesoeur fait appel: Jean Rollin. Ce dernier raconte souvent qu'il s'apprêtait à partir en vacances, un vendredi, quand son téléphone sonna; à l'autre bout du fil, Marius Lesoeur lui expliqua qu'il voulait tourner un film extraordinaire (il avait, parait-il, l'habitude d'exagérer), qu'il n'avait plus de réalisateur, qu'il ne voyait que lui pour faire ce tournage, et que le tournage en question commençait lundi.

Ayant toujours adoré les défis, Jean Rollin remis ses vacances à plus tard et accepta ce travail et ce sans même avoir pu lire le script: il arriva le lundi sur les lieux du tournage sans savoir ce qu'il allait tourner précisément. Il ne sut jamais, à vrai dire, ce qu'il tournait, vu que la seule personne ayant accès au script était Marius Lesoeur et que ce dernier le réécrivait sans cesses popur tirer le plus possible à l'économie.

 

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Jean Rollin (en chemise jaune), dans le rôle d'un policier-chair-à-zombie.

 

Les conditions de tournage étaient pour le moins spartiates: Jean Rollin raconta qu'il était allé lui-même chercher la caméra dans une cave où elle avait été entreposée des années auparavant. Le seul soucis c'est que si elle y avait été mise, ce n'est pas par manque de place mais parce qu'elle fonctionnait très mal, tournant soit trop vite soit trop lentement, ce qui obligea Marius Lesoeur à demander aux acteurs de jouer en accéléré ou au ralenti pour compenser ce dysfonctionnement.

Caméra bringuebalante, budget ridicule, éclairage assuré par un projecteur unique (et sujet aux courts-jus), scenario réécrit en cours de route et acteurs quasiment tous amateurs, autant vous dire que Jean Rollin avait un défi à sa mesure.

 

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Il existe deux versions des scènes de baignade: une où les baigneuses sont nues, une autre où elles sont habillées, cela afin de faciliter l'exportation du film (qui fut également doublé en anglais, hé oui!).

 

Puisque je vous parle des acteurs, notons que Jean Rollin n'est pas la seule tête connue dans ce film puisqu'Eurociné, pour les besoins du tournage, se paya les services d'Howard Vernon, qui joue ici le rôle du maire du village. Né en Suisse d'un père de nationalité helvétique et d'une mère américaine, Howard Vernon (Mario Lippert de son vrai nom) commence sa carrière à la radio avant, au sortir de la seconde guerre mondiale, d'entamer une carrière cinématographique. Sa maîtrise du français ainsi que son accent suisse firent qu'il se « spécialisa » dans les rôles d'Allemands, obtenant même une certaine notoriété après avoir joué l'officier Werner von Ebrennac dans « Le silence de la Mer » de Jean-Pierre Melville (1949). En 1960, il eut même l'honneur de travailler pour Fritz Lang dans « Le Diabolique Docteur Mabuse », où il jouait le rôle de N°12. La carrière d'Howard Vernon fut prolifique, il enchaina les bons et les mauvais films au gré des aléas de la vie: disons qu'il ne refusait que rarement un rôle, surtout quand celui-ci lui était proposé par son ami Jesus Franco, et que cela lui joua parfois des tours, ce film-là en étant la preuve.

 

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Entre un tournage pour Fritz Lang et un autre pour Jean-Pierre Jeunet, Howard Vernon arrondis ses fins de mois en jouant dans des films de zombies fauchés.

 

Tout commence au bord d'un lac à l'eau croupie, verdâtre, que l'on soupçonne fortement de sentir l'égout. Quand en plus on apprend en cours de route que ce lac a servi au Moyen-Âge, à immoler des victimes humaines lors de messes noires, et que pendant la dernières guerre, un groupe de soldats nazis, massacrés par des maquisards y a été jeté, les chances pour que quelqu'un s'y baigne de son plein gré apparaissent relativement minces.

Il faut croire que les habitants du village voisin font moins de manière que le commun des mortels puisqu'une jeune femme disparaît alors qu'elle était allé faire quelques longueurs dans le lac. Assez rapidement, on apprends pourquoi cette jeune femme, ainsi que d'autres baigneuses, disparaissent: le lac est réellement maudit et les soldats nazis qui y avaient été jetés se sont réveillés d'entre les morts. Ils commencent par dévorer toutes les baigneuses qui s'y présentent puis, comme personne ne viens plus se baigner, ils décident se servir à la source et vont attaquer le village.

 

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Ici une tentative de mettre un peu de psychologie en inventant un lien de parenté entre l'un des zombies et une petite fille, née des amours entre ce soldat nazi et une vilageoise. Pour l'anecdote, l'enfant est jouée par une certaine Anouchka, la petite-fille du producteur, qui à plusieurs reprises fit des apparitions dans le films d'Eurociné (à chaque fois que le script necessitait une petite fille). Récitant son texte comme à un spectacle de fin d'année, sa prestation est loin d'être inoubliable; reconnaissons-lui quand même une qualité: c'est la seule à prendre son rôle au sérieux.

 

A ce sujet, les scènes sous-marines sont assez croquignolesques: n'ayant pas pu immerger la caméra dans le lac, c'est dans une piscine que ces scènes furent tournées: outre la couleur de l'eau qui change, il n'est pas rare de distinguer assez nettement les bords de la piscine, le summum étant atteint lorsque, pendant une prise de vue des zombies, le spectateur distingue clairement l'un des zombies porter un masque de plongée et un autre remonter précipitamment à la surface pour reprendre son souffle.

 

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En arrière-plan: un figurant remontant à la surface pour reprendre son souffle.

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Ici, on distingue nettement au fond, les bords de la piscine, ainsi que ce qui semble être une porte (à droite).

 

Ce film a été réalisé avec une économie de temps et de moyens et cela se voit: c' est à se demander même si la moindre prise a été tournée plus de deux fois tant « Le Lac des Morts-vivants » regorge d'erreurs factuelles. La plus évidente étant le parfait anachronisme entre les décors, les vêtements et les véhicules et l'époque où est sensée se dérouler le film: le massacre des soldats est sensé avoir eu lieu dix ans auparavant, ce qui n'empêche pas aux acteurs d'être habillés à la mode du début des années 80, de rouler dans des voitures qui n'existaient pas au milieu des années cinquante et de deviser tranquillement dans des décors en formica.

Ajoutons aussi des figurants hilares au second plan, une post-synchronisation des plus bancales (à la limite du compréhensible, parfois), le fil de la caméra qui traverse un décor, des nazis sortants de l'eau mais parfaitement secs au plan suivant, des stock-shots de documentaires sensés illustrer les flash back mais tournées sous la neige (le reste des scènes se déroulant en été) ou encore des avions limités à un simple bruit de réacteur. En d'autres termes, ce film a été fait avec une économie de temps et de moyen, ils n'étaient pas beaucoup à savoir faire un film sur le plateau, encore heureux que l'un d'eux fut le réalisateur.

 

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Les tentatives pour remplacer le tirailleur sénégalais comme mascotte de Babania n'ont pas toujours été de très bon goût.

 

Le clou du film étant atteint par les zombies eux-mêmes, joués par de paisibles figurants peinturlurés en vert. Quand je dit vert ce n'est pas « vert caca d'oie », ce n'est pas le vert-charogne que l'on voit dans certains films. Non, c'est d'un beau vert feuille que son nos morts-vivants, grâce à un subtil maquillage qui, vous vous en doutez n'est absolument pas water-proof. Un comble quand lesdits zombies sont sensés sortir de l'eau.

« Le lac des morts-vivants » est un film dont Jean Rollin n'est pas fier, et on comprend pourquoi. S'agissant d'un simple film de commande, il n'eut donc aucun scrupule à ne pas le signer de son vrai nom et à considérer que ce film ne faisait pas partie de sa filmographie, quitte à nier l'évidence. Le plus étonnant dans l'affaire étant qu'Eurociné était persuadée que ce film se vendrait et qu'il faisait vraiment peur.

Paradoxalement, les quelques interviews que j'aie pu lire de Jean Rollin montrent qu'il garde des souvenirs assez agréables de ce tournage, notamment le fait que lui et Howard Vernon s'y sont bien amusés; comme quoi la règle voulant que les meilleurs souvenirs aient pour origine les pires galères se vérifie une fois de plus.

 

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"Hé le zombie, "Le vieux fusil", ca te dis quelque-chose?"

 

Fiche technique:

 

Réalisateur: J.A. Lazer (Jean Rollin)

Année: 1981

Pays: France

Durée: 1h48

Genre: Allez les verts!

 

1Cela en dit long également sur la connerie du troll, mais passons.

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